Patrick Robin : La proposition de loi Grandguillaume « contre » les VTC ou « l’Edit de rente » de la G7 ?
Par Patrick Robin, membre du Board de France Digitale et fondateur d’Avolta Partners.
Tribune
La proposition de loi du député Laurent Grandguillaume visant à limiter le développement des VTC est une fois encore la démonstration que nos représentants politiques détestent s’attaquer aux véritables problèmes – dans le cas présent, la spéculation sur les licences de Taxis que l’Etat a laissé s’installer – et de leur capacité à céder aux corporatismes et autres pressions de la rue.
A la lecture du projet, on peut s’interroger : cet « Edit de rente » a-t’il été écrit par le député PS des Côtes d’Or ou le patron du groupe G7-Taxis Bleus ? Rente à laquelle le groupe en question n’a pas l’intention de renoncer au profit des VTC.
UNE PROPOSITION DE LOI AU PROFIT D’UBER ET DU GROUPE TAXI G7/TAXIS BLEUS
Messieurs les Sénateurs, messieurs les Députés, sous le prétexte louable de vouloir protéger les Artisans Taxis et lutter contre la paupérisation supposée des chauffeurs de VTC, vous risquez non seulement de briser la dynamique de plusieurs entreprises françaises au seul profit d’une multinationale d’origine américaine, Uber (qui a levé 7 milliards de dollars ces 18 derniers mois), et d’un quasi monopole, le groupe Taxi G7/Taxis Bleus (environ 10.000 taxis sur les 18.000 taxis parisiens), qui a versé en 2014 pas moins de 17M€ de dividendes à ses actionnaires. Chers représentants de la Nation, en voulant, de bonne foi j’en suis sûr, protéger les travailleurs, vous allez enrichir un peu plus les très très riches !
MOINS DE 4 CHAUFFEURS TAXI/VTC POUR 1000 HABITANTS
Mais ce n’est pas tout ! Nous avons un déficit considérable sur les grandes capitales. Ramené aux habitants des grandes métropoles, le ratio est de moins de 4 chauffeurs Taxi/VTC pour 1000 habitants à Paris versus 13 à New York et près de 11 à Londres. Malgré cette offre française très largement sous-dimensionnée, nos hommes politiques s’ingénient à mettre leur talent et leur créativité à imaginer tous les dispositifs qui pourraient encore aggraver le retard de la France dans le domaine du transport urbain.
Mais ce n’est pas tout ! Bien que ce secteur ait créé plus de 15.000 emplois en 5 ans à peine, et ce malgré la loi Thevenoud, et bien que ces emplois aient majoritairement été créés pour des jeunes issus des départements et quartiers les plus touchés par le chômage, et bien que la plupart des économistes s’accordent à pronostiquer que le potentiel de création se situerait entre 50 et 100 000 emplois, nos hommes politiques se demandent comment ils pourraient tout faire pour que la courbe du chômage ne s’inverse surtout pas. Serait-ce un message personnel du PS destiné au locataire actuel de l’Elysée ?
UN EXAMEN INADAPTÉ
Mais ce n’est pas tout ! Comme ce serait dommage que des jeunes sortis souvent trop tôt du circuit scolaire, ayant peu ou pas de qualification, trouvent un premier boulot, nos hommes politiques ont juste imaginé que « VTC » étaient les initiales de « Vraiment Trop Con ». Car si l’on en croit certaines questions de l’examen (A quoi fait référence le nom de D’Artagnan ? ou ; historiquement, que désigne l’ère victorienne ?) ils préfèreraient réserver ce métier à des Bac+5 eux aussi au chômage ou en stage longue durée ! Compléxifier l’examen pour le rendre moins accessible au jeunes les plus en difficultés, limiter le nombre de sessions à une par mois quant elles ne sont pas annulées, confier l’organisation de ces examens à la chambres des métiers où les chauffeurs de Taxis sont majoritairement représentés, quelle belle créativité pour faire plaisir aux « loueurs » de taxis!
Mais ce n’est pas tout ! A l’heure de la Cop21, à l’heure ou Anne Hidalgo nous invite à imaginer un Paris sans voiture, que font nos hommes politiques ? Eh bien, ils se disent que freiner le développement des VTC est sûrement un excellent moyen pour inciter les Parisiens à ne plus prendre leur véhicule (!).
UN RISQUE DE SERVICE DÉGRADÉ
Mais ce n’est pas tout ! L’objectif de ce projet de loi serait aussi d’améliorer la qualité de service et de mieux accueillir les touristes (on aurait peut-être dû expliquer cela aux Taxis ces 40 dernières années non ?). Mais laissez-moi vous décrire le scénario annoncé. Si cette loi passe – deuxième loi en 2 ans quand même et sur un sujet capital pour l’avenir de la France tout le monde le sait ! Ils sont quand même très forts côté lobbying nos amis Taxis ! – nous aurons beaucoup moins de chauffeurs de VTC, donc moins de disponibilités, plus d’attente, des prix qui vont augmenter et une qualité de service qui va se dégrader très vite. Je m’explique : aujourd’hui quand un chauffeur manque de courtoisie, en cas de récidive, il est très vite pénalisé. Demain quand les chauffeurs deviendront une denrée rare que les compagnies s’arracheront, le chauffeur pourra devenir aussi désagréable qu’un chauffeur de Taxi, sa voiture pourra être aussi sale que bon nombre de Taxis parisiens, le patron de la compagnie de VTC regardera à deux fois avant de se séparer de ce chauffeur indélicat !
Messieurs les Sénateurs, messieurs les Députés, laissez nos entrepreneurs de start-up françaises se développer et créer des emplois, laissez-les faire preuve d’innovation et d’agilité face à des géants américains ou à des quasi monopoles ou situation de rente bien français cette fois. Laissez les jeunes peu qualifiés se former, trouver un emploi, se réconcilier avec le travail et l’espoir et pour cela aidez-les, accompagnez-les, mais ne les découragez pas avec des examens et des réglementations de plus en plus complexes.
Alors évidemment si vous demandez aux chauffeurs actuels s’ils sont pour un durcissement des conditions d’obtention de la licence ils vous répondront oui bien évidemment, ce n’est que le reflet de l’éternel combat des « insiders » face aux “outsiders“. On veut défendre ses avantages, ses privilèges, c’est tristement humain !
Pourtant on ne devient pas chauffeur de VTC pour faire carrière, « on devient chauffeur de VTC parce qu’enfin on m’a fait confiance, que c’est mon premier boulot après des années de galère et que ça va peut être me mettre le pied à l’étrier. C’est sûr je fais pas chauffeur de VTC pour faire carrière mais ça m’a donné envie de faire d’autres choses et là j’économise pour monter mon food-truck, dans deux ans peut-être… Inch’Allah ! » c’est ce que m’a dit mon dernier chauffeur de VTC.
Patrick Robin
Tribune publiée sur l’Usine-Digitale